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"Du chaos à la lumière" ou l’alchimie de l’Être

 

Dernière-née dans l’œuvre du sculpteur, la série Du chaos à la lumière prend source dans sa démarche originelle, une quête initiatique et opiniâtre de ce que sont l’humain et son devenir, à la recherche de l’unité de l’Être.

Dans la réalisation de ces colonnes de verre, qui sont autant de tranches de vie, l’engagement de l’auteur est total, travail sur la matière et sur soi, sur le corps et la mémoire, comme s’il s’agissait de résoudre une douloureuse équation.

Corps blessés, incomplets, en pièces ˗ comme dans le mythe d’Osiris ˗, cœurs à vif, esprits en bataille et chevauchant le vent, les sculptures de Jean-François Lemaire, au fil du temps, tracent une voie vers l’apaisement et l’unité.

Au début des années 2000, ce sont les Pasteurs, flacons de cristal et bronze anthropomorphes, qui vont en avant, tels l’Hermite du Tarot, repérer les sentiers et les signes. Suivent les Mues, peaux d’âme échouées et les Renaissances, esprits de cristal et corps de bronze entrelacés, prémisses d’unification. En 2004, trois grands anneaux imbriqués de cristal, bronze et céramique signent une nouvelle expérience : Hiérogamie. Coulées de verre reliant des plaques de schistes, comme des ligaments, les Passages examinent ensuite le détail de nos articulations cosmiques et en 2014, Nature humaine inventorie d’autres alliances intérieures improbables, esprit, corps, pierre, bronze ou bijou sur des formes de cristal parfois brutalement équarries. Des statuettes de bronze jalonnent ces années, la série Humain nature, présentant des formes humaines incomplètes, des corps à demi-projetés hors de leur enveloppe, des écorchés, des ailes, des intérieurs cristallins, des vides, des tentatives, là aussi, d’élucider notre véritable nature.

Du chaos à la lumière apportent à toutes ces recherches une réponse, avec une sérénité nouvelle et une poétique de l’unité. De ce point de vue, ces œuvres verticales de Jean-François Lemaire, sont autant de gestes qui témoignent de nos résiliences et de nos croissances, après que l’existence, le temps et le cosmos nous ont percés de toutes parts, dispersés, fracassés. Ces œuvres sont les longs chemins qui mènent du chaos des éléments morcelés à la complétude lumineuse des corps, par le verre poli, transparent, miroir autant que fenêtre sur des mondes intérieurs enfin apaisés.

Exprimée par l’artiste, l’élévation, élan vers le haut, est l’expression à la fois physique et personnelle de la force qui s’oppose à l’inertie et à la gravité. Sa base chaotique pourrait n’être qu’une dissonance qui cherche sa résolution lumineuse. Cependant, en mathématique comme en psychanalyse, le chaos est d’abord une dynamique, un enchevêtrement de particules et de  trajectoires, de peurs et de dissociations. Il est aussi l’expression d’une fluidité prometteuse et, dans ses aspects matriciels, ceux de tous les possibles, un vigoureux pied de nez au déterminisme, un germe de liberté. Dans les sculptures Du chaos à la lumière on perçoit une volonté de lancer véritablement la transformation du corporel en énergie libre et accomplie, par la  gémellité que le sculpteur installe avec son matériau, au cœur du four-alambic.

Jean-François Lemaire ne travaille pas le verre par hasard. Si l’alchimie sert à créer de l’inédit, à bousculer la toute-puissance des causes et des effets, alors le verre, paradoxal et exigeant, en est le matériau par excellence. Il est visiblement statique et fondamentalement mouvant (le verre n’est pas un solide), il peut se montrer opaque ou transparent, volcanique ou bien ouvert sur des fragments de mouvements arrêtés, mémoire de matériaux calcinés, transformés, d’atmosphères capturées dans leurs ultimes dilatations et dans leurs danses immatérielles. Cosmos intérieur et extérieur, le verre peut devenir sculpture et texture provoquant l’émotion, appelant au plaisir des sens, forme à la fois permanente et impermanente, par la grâce de ses qualités physiques et de son exceptionnelle relation à la lumière. Comme pour l’alchimiste avec ses métaux, la somme des savoirs et savoir-faire permettant d’apprivoiser ce matériau représente pour l’homme de l’Art l’œuvre de toute une vie.

Soutenant son approche plastique des concepts de lumière, de transformation, d’unification, d’harmonisation, de réparation ou d’apaisement des tensions, le travail de Jean-François Lemaire, depuis des décennies, porte en effet sur les divers états du verre et sur le déploiement de ses capacités expressives. Venu des univers du fer et du bronze, l’artiste s’est consacré à la pâte de cristal et à des travaux utilisant divers degrés de fusion, puis à des œuvres transparentes et polies et de grands formats complexes. Il s’est aussi orienté vers la conduite de cuissons permettant de maîtriser des rendus de « cristallisation » plus ou moins forte ou de différents stades de transparence, d’opacité et de rugosité, à l’intérieur de la même pièce, notamment dans la série « H », en 2007. Dans ses travaux les plus récents, il développe une série d’œuvres sculpturales ou monumentales en verticalité où il utilise précisément son vocabulaire des états opaques, rugueux voire chaotiques de la matière-verre pour des bases de pièces qui se développent ensuite vers le haut, vers une totale transparence et un poli parfait, un chemin vers la lumière, trompant l’œil par son intangibilité.

En cela et pour cela, l’œuvre de Jean-François Lemaire touche à l’universel.

                                                                                                                                                                Catherine Divet

"Empreinte de temps"

Qu’en est-il du temps, ce mouvement qui entraîne les êtres et les choses, ce milieu mystérieux au sein duquel nous existons, comme des poissons dans un flot universel, cette non-matière si amoureusement conjointe à la matière ? Qu’est-il, en dehors de ses effets, vieillissant nos cellules, la nature et nos œuvres ? Comment concevoir ce temps créateur, co-auteur de la mémoire, laquelle ne parle que de nous - et sur un mode si faillible, si émotionnel et lacunaire -, comme d’un éternel et fallacieux présent ? Philosophes, théologiens et scientifiques ont apporté leurs réponses à ces questions, sans jamais parvenir à l’unanimité.

L’œuvre de l’artiste et celle de l’artisan témoignent fortement de sa présence. On y trouve le temps long de l’expérience nécessaire pour acquérir une maîtrise et un langage, le temps de la conception et de la fabrication d’une pièce aboutie. Le temps de la vie de l’œuvre également, car il est fonction du hasard des destinations et de la pérennité des matériaux, rendant ou non possible la transmission d’un art de vivre, d’un élan, d’une esthétique, d’une pensée technique et philosophique, d’émotions, de recherches, de propos, autant d’hommages à ceux du passé, autant de messages destinés à ceux du présent comme du futur.

De cette façon, le temps irrigue l’œuvre et la fait entrer, en quelque sorte, dans les catégories du vivant.

Après des décennies de recherches sur les capacités du verre à inclure et conserver, comme l’ambre, des matières végétales ou minérales, carbonisées ou non, (pierres, plâtres, bois, papier, métaux, matériaux réfractaires, etc.), à travailler les couleurs, y compris la difficile technique de la pâte de verre développée par Gabriel Argy-Rousseau, à explorer les états de son matériau, aux limites de sa transformation, là où il n’est presque plus du verre, et après avoir réalisé de grands formats et des assemblages « à chaud » de verre, céramique et bronze, Jean-François Lemaire se consacre aux deux principes que sont l’élévation vers la lumière (Du chaos à la lumière) et la « captation » du temps, (Empreintes de temps), en un geste qui relie entre eux le ciel et la terre, expérimenté durant tout son parcours, mais désormais affirmé, développé dans ses derniers travaux.

Avec l’élévation vers la lumière et les Empreintes de temps, l’idée de l’arbre, récurrente depuis 20 ans, prend son essor avec, peut-être, celle du temps qui serait un arbre de verre dont on pourrait observer l’âge et les mystères. On constate notamment, avec cette nouvelle œuvre, que la lumière, cette fois, est à l’intérieur. Temps et lumière sont ainsi associés dans ce fruit d’un bûcheronnage cosmique, révélant, sous la gangue d’écorce vitrifiée, une fenêtre dont les compartiments, perlés de bulles, sont comme tapissés de mousse de manganèse. Ces éléments évoquent l’obsidienne des « cheveux de Pélé », lave filée par le vent mais aussi la Tillandsia usneoides, douce parure des chênes de Louisiane. Feu, verre, air, végétal réunis sous un même vocable. Trouver ce manganèse, oligoélément, au cœur d’une composition verrière, crée un nouveau pont entre le temps et le corps, les fluides, les infimes et nécessaires clés du vivant.  

Et si le temps était architecte, ivre de pure lumière ? Ce tronçon découpé dans l’arbre de verre nous montre une composition, un module de bâtiment aux teintes naturelles, gris ardoise ou perle, voiles lactés, bulles et roses lilas. Poudres de verre et carbonates placés avec précision dans le moule, maîtrise de la cuisson et de la recuisson ont animé chaque unité de l’ensemble, comme nous devrions peut-être le faire avec les compartiments de nos vies, pour qu’ils transmettent leur message à tous les vents, nous élargissant et nous accomplissant. Car le verre est pérenne et toute sculpture verrière est un legs aux générations futures, pour des milliers d’années. Cette responsabilité, dans un siècle qui laissera sans doute peu de traces écrites, sonores, visuelles, bâties, du fait de la fragilité de nos choix de matériaux et supports, Jean-François Lemaire l’exprime parfaitement dans cette capture pacifique de la dimension temporelle, sans laquelle nous n’existerions pas.

Avec cette œuvre, le créateur ouvre une fenêtre, un oculus de verre optique pour que nous tentions un regard sur l’impalpable de la temporalité saisie dans son intimité profonde. Le temps n’y est pas un miroir où nous ne verrions que nous-mêmes. Empreinte de temps nous montre une composition d’alvéoles d’une grande pureté, réunies mais singulières, porteuses, pour chacune, d’un univers qui n’est pas clos mais fait brèche vers le par-delà, l’autre côté, le désir du futur, les traces biologiques et minérales du passé et le présent du regardant.        

                                                                                                                                                                Catherine Divet

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